Suite aux nombreuses requêtes de ma mère, je me vois contrainte et forcée de coucher ma petite vie sans intérêt sur du vélin. J’ignore ce qui peut bien la motiver, mais je soupçonne tout de même une pointe de jalousie envers mon père dans tout cela, car elle n’a jamais accepté que j’accorde plus d’attention aux activités de mon père qu’aux siennes. Vous ignorez sûrement de quoi je veux parler, mais vous finirez par comprendre.
Je vous pris de m’excuser pour la piètre qualité de mon récit, mais l’écriture n’a jamais été mon domaine de prédilection et je n’apprécie guère mon style que l’on juge bien souvent trop lourd.
Je n’ai pas grand chose à dire sur les premières années de ma vie, hormis le fait que mes nuits étaient hantées par ce même effroyable cauchemar. Aujourd’hui, je n’en ai qu’un vague souvenir… celui de ma cité en flammes traversée par un flot de sang qui me submergeait. Ces rêves eurent pour effet de me rapprocher de mon père que je suivais comme une ombre dès que l’occasion se présentait. Il était pour moi l’image même du preux chevalier protégeant la veuve, l’orphelin et sa petite fille terrorisée par ses songes. Je le regardais avec admiration lorsqu’il s’entrainait avec les gardes et je m’extasiais de ces nombreuses victoires, malgré sa jambe boiteuse. N’en déplaise à ma mère, il ne me semble pas exagéré de dire que, déjà toute petite, j’avais pris mon père pour modèle. C’est donc tout naturellement que j’ai commencé à m’intéresser à l’art du combat.
Je me rappelle encore très nettement de cette matinée de Erntezeit où j’avais défié mon père sur le terrain d’entraînement avec une épée d’entraînement que je n’arrivais pas à soulever : je n’avais alors que sept ans. Le résultat ne fut pas celui que j’avais espéré : d’un seul petit coup d’épée mon père me fit tomber sur les fesses et je fus moquée par tous les gardes présents ce jour là. Je suis partie en pleurant et je me suis réfugiée dans ma chambre, d’où je refusai de sortir. Jamais auparavant je n’avais subi une telle humiliation, je ne voulais voir personne, je ne voulais pas croiser des regards moqueurs. C’est au bout d’une semaine que mon père franchit le semblant de barricade que j’avais érigé avec tout ce qui me tombait sous la main. Il était vêtu d’une manière très simple mais très élégante et portait un paquet dans sa main gauche. Je traitai mon père de tous les noms et malgré cela il garda son calme. Il s’assit sur le rebord de mon lit et me prit sur ces genoux. Je n’osais plus rien dire, je n’osais plus bouger, je n’avais aucune envie de m’attirer ses foudres, je voulais simplement qu’il me laisse toute seule, mais cela ne semblait pas dans ses projets. Après une minute d’un silence de mort, il s’adressa à moi.
« Ecoute Sigmaris, me dit il d’une voix douce et apaisante, je sais ce qui s’est passé, que la semaine dernière t’a humiliée et que tu ne veux pas affronter le regard des autres, mais un jour ou l’autre il le faudra. Ce que tu as vécu n’est pas très agréable, je le sais bien car j’ai moi aussi vécu la même situation, pour moi aussi le premier combat fut une catastrophe. »
Il prit le paquet qu’il avait posé sur le lit en s’asseyant et l’ouvrir. Celui ci contenait une petite armure de cuir ainsi qu’une petite épée qui ressemblait plus à une dague. Ils étaient tous les deux d’excellente facture, comme tout ce que je possédais.
Voici ce que je te propose, reprit-il en me souriant, Je t’ai ramené une armure et une épée adaptée à ta taille et si tu le désires nous allons passer toute la journée à nous entrainer. Comme cela, demain, tu pourras à tous leur montrer que tu es une combattante en plus d’être une adorable petite fille. Cela te convient il ma chérie ?
Oui père lui répondis je, les yeux débordant de larme. » Il avait trouvé le moyen de me réconforter et de récupérer mon honneur
Nous nous sommes entraînés jusqu’au couché du soleil. Ma détermination était telle que je refusai de prendre le temps de déjeuner, j’étais prête à m’entrainer toute la nuit. Malheureusement ma fatigue et mon ventre vide eurent raison de ma volonté et je fin par m’effondrer sur mon lit peu avant le couché du soleil.
Réveillée par les premières lueurs du jour, je me sentais en pleine forme. Je ne tardais pas à enfiler mon armure et à me saisir de mon épée soigneusement rangée dans son petit fourreau magnifiquement décoré. Avant de me rendre dans la salle à manger, je déambulai longuement dans le château sous les regards étonnés des gardes et des servants du château. Après avoir obtenu ce que je désirais, c’est à dire faire parler de moi, j’entrepris de remplir mon ventre criant famine. Mon entrée dans la salle à manger fut accueillie par un cri d’horreur. Ma mère était visiblement choquée de me voir ainsi vêtue, et je prenais plaisir à voir sa réaction.
« Friedrich ! s’exclama t’elle le visage empourpré, qu’est ce que cela signifie ? Je tolère tout juste le fait que notre fille côtoie les gardes de la ville, mais là vous dépassez les limites, et je me demande même si vous n’allez pas finir par lui faire montrer la garde à l’entrée de la ville ! Vous êtes allé trop loin Friedrich.
Mon père regardait ma mère avec un visage las, car malgré quinze années de mariage il ne s’était pas encore habitué au coté « précieux » de son épouse. Il lui répondit simplement qu’il me laissait faire ce dont j’avais envie, mais qu’il veillait à ce que tout cela ne dépasse pas les limites que mon éducation m’imposait.
Durant toute la durée du petit déjeuner ma mère ne cessa de dire à quel point mon père était irresponsable, et que j’allais finir par être une dépravée qui entacherait l’honneur de notre famille.
L’heure était enfin arrivée, j’allais montrer à ces bouseux ce dont une fille de la noblesse était capable, j’allais leur prouver que je savais me battre. Comme tous les matins, les soldats nous attendaient. Ils formaient de petits groupes épars, profitant de ces dernières minutes d’oisiveté pour discuter, fumer ou affuter leurs lames. A notre arrivée, ils formèrent les rangs et ajustèrent leurs uniformes. Comme le voulait la coutume, le capitaine de la garde, un homme aux cheveux grisonnants, d’un quarantaine d’année et à la carrure imposante, vint à notre rencontre et nous salua. Sur un simple ordre de sa part, tous les soldats se mirent au garde-à-vous : l’inspection matinale allait commencer. Mon père, examina soigneusement les soldats présents du haut de sa monture. Après quelques douces réprimandes, les soldats sortirent de l’enceinte de la caserne pour faire le tour de la ville au pas de course tandis que mon père et moi les suivions à cheval. Je sais que mon père aurait souhaité se joindre à eux mais sa jambe blessée le lui interdisait.
Suite à cette petite promenade, les hommes regagnèrent la caserne et se mirent de nouveau en rang. C’est alors que mon père s’adressa à eux. « Mes amis, s’exclama t’il, vous vous souvenez certainement de la petite mésaventure de ma fille » Tous les soldats éclatèrent de rire, je sentais la rage échauffer mon sang ; j’en voulais à ces bouseux, mais j’en voulais encore plus à mon père. Comment pouvait-il me faire cela à moi ? Comment pouvait-il agir ainsi après tout ce qu’il m’avait dit la veille ?
« Et bien aujourd'hui, elle va pouvoir prendre sa revanche face à moi, mais avec un équipement adapté à sa taille, car il va de soi que n’importe lequel d’entre vous aurait subit la même humiliation s’il avait du combattre à l’arme d’un ogre. Maintenant trêve de parole, et laissons à Sigmaris l’opportunité de nous montrer ce dont elle est capable »
La rage bouillonnait en moi, mon père allait devoir payer pour ce nouvel affront. Nous mirent tous les deux pieds à terre, et sans attendre je dégainai mon épée et chargeai mon père. Mon action, aussi soudaine que précipitée, effraya nos chevaux qui se cabrèrent et s’enfuirent au galop. Cela n’avait aucune importance, car ma soif de vengeance m’aveuglait. Mon père qui tentait de rattraper les chevaux, esquiva de justesse mon coup de taille. Il fit trois pas en arrière et évita mon coup d’estoc, tout en reculant. Il ne pouvait pas se saisir de son épée à cause des mes incessantes attaques et ne pouvaient pas m’attaquer à mains nues de peur de me blesser, il ne pouvait que subir. Mes assauts étaient aussi vifs que maladroits, mon arme ne faisait que fendre l’air. Mon père était bien trop agile, et moi trop peu expérimentée.
Les premiers effets de la fatigue ne tardèrent pas à se faire sentir. Mes bras me faisaient souffrir. Je n’aspirais qu’à un repos bien mérité, mais ne pouvais me le permettre ; je devais l’emporter, je devais regagner mon honneur. Ma détermination et mon désir de revanche ne suffisaient pas pour vaincre mon père et je pris soudainement conscience qu’il me faudrait bien des années d’entrainement pour parvenir à son niveau. Après quelques moulinets supplémentaires, je n’en pouvais plus, j’étais bien trop épuisée pour continuer ce vain combat, il me fallait abandonner. Je rassemblais mes dernières forces et je bondis sur mon père, l’épée brandie au dessus de ma tête, en poussant un hurlement de rage et de douleur. Quelque peu étonné, il tenta de bondir en arrière mais son pied glissa sur le sol terreux. Ma lame s’abattit à quelques centimètres seulement de sa jambe boiteuse et alors qu’il tentait de se relever, je me précipitai pour lui coller le tranchant de mon épée sous la gorge. Nos regards se croisèrent. Ses yeux étaient plein d’amour, de douceur. Mon épée glissa alors doucement de mes mains endolories et je m’effondrai sur son torse sous les applaudissements des gardes. Il se releva et me souleva au dessus de ses épaules tel un trophée. Les applaudissements redoublèrent et je pus contempler ce merveilleux spectacle qui s’offrait à moi. Dorénavant, je n’aurais plus honte devant ces hommes et pourrais marcher la tête haute. Ils ne se souviendraient plus de la petite fille humiliée qui osa défier son père mais de celle qui se battit jusqu'à ces dernières forces pour atteindre son objectif. Quelques années plus tard, je compris que la chute bienvenue de mon père n’avait rien d’un accident. Elle fut préméditée dès le début. Je lui serais toujours reconnaissante pour cette attention car il me donna confiance en moi et me permis d’obtenir le respect de ses soldats.
Suite à ma «victoire », je participai tous les jours aux exercices des gardes, faisant même une partie du tour de la ville à pied sous le regard amusé de mon père. Ceux ci se prirent d’affection pour moi, et m’enseignaient chaque matin l’art de combattre. Petit à petit, j’appris à apprécier ceux que je méprisais tant. Je finis par passer tellement de temps à leurs cotés que cela en révolta ma mère. Elle ne pouvait comprendre que je puisse affectionner la compagnie d’hommes de basses conditions. Comme à son habitude, elle rejeta la faute sur mon père, qui par son « éducation laxiste » allait faire de moi une « débauchée ». Sa réaction fut immédiate et sans appel, elle entra en guerre contre ma soi-disant dépravation grâce à un emploi du temps des plus chargés et une éducation intellectuel. De longues heures de lecture, d’écriture et de calcul s’ajoutèrent donc aux cours de chant, de musique, de danse et de bienséance. Je n’avais plus une minute à moi et mes rares heures de repos coïncidaient bizarrement avec mes entrainements au maniement des armes. Le plan de ma mère était parfait : j’allais bénéficier d’un enseignement digne de celui d’un homme, et mon père ne pouvait assurément pas s’y opposer. Elle ne m’interdisait pas non plus de m’entrainer mais je devrais choisir entre des heures d’oisiveté et mes entrainements, et comme mes journées promettaient d’être harassantes, elle devinait facilement vers quoi tendrait ma préférence
Les premiers jours ne posèrent pas vraiment de problème, car bien qu’éprouvantes, je me sentais la force de continuer indéfiniment à ce rythme. Malheureusement, le désenchantement arriva bien vite, et mon envie de flâner et me reposer pris le dessus sur les longs et fatiguant exercices et ce n’est qu’au bout d’une semaine que je renonçais à ces moments privilégiés avec mon père. Suite à cela et durant plus de cinq mois, ma mère ne cessa de vanter la merveilleuse influence de son éducation (dispensée par d’autre) et des soit-disantes améliorations de mon comportement depuis que je ne fréquentais plus les roturiers. Plus les jours passaient, plus je sentais la colère me gagner et le désir de reprendre mes entrainement, ne serait ce que pour narguer ma mère. Malgré mes nobles intentions, je ne trouvais pas la force en moi pour mener de front un apprentissage physique et intellectuel. Si j’avais eu le choix, j’aurai volontiers renoncer à tous ces cours qui ne me semblait n’être rien d’autre qu’une besogne inutile pour aller m’amuser avec mon père, car pour moi, le maniement de l’épée était plus un jeu d’adresse qu’autre chose.
Les choses auraient pues restées en l’état, si pour mon huitième anniversaire je n’avais pas rencontré l’odieux Konrad Welsman alors âgé de neuf ans et demi