Cher journal,
Chose étrange de dire cela,… « Cher journal »…Amalgame entre ce morceau d’écrin accueillant mes pensées défilant au bout de ma plume et l’oreille attentive et attentionnée d’un ami.
Comment ferai-je, de toute façon, pour avoir un confident avec cet handicap, cette tare qui m’empêche de communiquer autrement qu’en saccadant les syllabes, qu’en écorchant chaque mot et m’obligeant à me contenter souvent d’un simple hochement de tête. « Le Boiteux » me dit constamment de respirer et de réfléchir entre chaque lettre avant de la prononcer. Je l’entends encore d’ici : « Bon dieu, respires gamin !! T’as qu’à t’dire qu’t’es avec une donzelle…Tiens la petite coureuse d’rempart d’Altdorf qui t’fait d’l’œil…Bah, dis toi qu’si t’y va d’un coup en pétaradant du bec comme « L’Gras » du calefouette un lendemain d’graille épicée, t’étonnes pas t’user l’chibre sur l’drap avant d’avoir pu émoustiller un brin la grognasse !! Prends l’temps,…T’as pas les morbacs en feu ?? »
Je sais bien que derrière ses tournures de phrases se cachent une sincère envie de m’aider, de surpasser mon infirmité mais, j’ai beau tenter de suivre ses conseils, rien y fait. Les mots restent figés dans ma gorge, ne s’y extirpant que par brides incompréhensibles.
Un blocage selon « Murmure »…Peut être…N’ayant que peu de souvenir de mon enfance, comment serai-je s’il en a toujours été ainsi ?
Un blocage…Peut être comme ce bourgeois, Herr Baumstein, qu’on tient en cage depuis plus de 15 jours, dans l’attente d’une éventuelle mutation ou corruption, je crois.
Oui, peut être un blocage dû à d’atroces souffrances qui font que cet homme n’est plus qu’une coquille vide, un corps sans âme subissant les affres de la vie avec l’indifférence d’un mur de briques. Est-ce le chemin normal, la suite logique d’une mutation que cet état ? Et si blocage il y a pour nous deux, mon bégaiement est il une forme de corruption, le chaos altérant ma faculté à m’exprimer ?
Du coup, cet homme et sa condition m’intrigue. Je me suis surpris à vouloir tenter une approche une nuit, esquivant au mieux les rondes des gardes que le sergent a mis en place afin de protéger la meute d’une contamination. Je me suis surpris à croire en une quelconque aptitude de discrétion, à espérer avoir le même don que « Silence ». Je me suis surpris à croire pendant quelques minutes que c’était le cas, que les ombres étaient mon terrain de jeu, que la pénombre m’accueillait les bras ouvert pour m’enlacer dans une étreinte passionnée faisant de la nuit mienne…Quelques minutes à croire que j’étais quelqu’un d’autre que « le Bègue ».
Mais la réalité m’a rattrapé en même temps que la puissante poigne de « La Montagne » qui me renvoya à coup de pieds au cul dans ma tente avec cette honte qui s’attache à mes pas depuis toujours.
Ne serai je donc jamais doué à quelque chose ??
Le temps passe, cher journal, et je vais te laisser sur ces lignes. La compagnie reprend la route d’ici peu, direction Wolfenburg.
Je n’aurai guère le loisir d’ouvrir tes pages pendant le trajet. Et….Et…Je dois t’avouer que je ne souhaite pas qu’un de mes « compagnons » tombent sur toi. J’imagine déjà « La Barbaque » et ses acolytes se foutrent de moi pour tenir un journal telle une pucelle… Mais seraient ils au moins capables de comprendre ton contenu ? Savent-ils lire au moins ? Et moi….Comment se fait il que je sache m’exprimer à travers ta plume avec tant d’aisance alors que je n’ai souvenirs d’aucun apprentissage ??
Adric